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                                      Панченко А. М. Смех как зрелище

Иванов С. А.  Русское «похабство»

 

 

S. A. Ivanov


SYMEON NOUVEAU THEOLOGIEN

EN TANT QU'UN FOL-EN-CHRIST

 

Знаки Балкан. Сборник статей. В 2 т. Т. II. М.: Радикс, 1994, с. 271-288

(резюме на русском яз.)

 


Nous ne nous préoccupons pas ici du contexte historique et théologique de la doctrine de Syméon. Parler de ses tendances messalienistes 1, bogomiliens 2 ou hésychastes 3 aboutirait à la projection du phénomène complexe sur un plan à deux dimensions: orthodoxie / hérésie, et il s'agirait alors d'une dichotomie plutôt politique que religieuse. Du vivant de Syméon, on lui reprochait beaucoup de choses, mais non l'hérésie; ce qui ne veut rien dire en soi mais demeure un fait qui — s'il déconcerte les uns et satisfait les autres — nous permet à considérer la doctrine de Syméon comme un système philosophique isolé.


Au première vue, il n'y a rien de plus antagoniste que Syméon le Nouveau Théologien et le fol-en-Christ. "Salos" est toujours anonyme, alors que Syméon était un personnage public influent; un fol-en-Christ croupit dans les bas-fonds de la société tandis que Syméon était spatharocubiculaire et membre du synklite; un "salos" se tient à l'écart de l'église, et Syméon avait servi comme higoumène dans le monastère du Saint Marnas; un fou-pour-Christ est désinvolte, obséquieux, insolent, le Nouveau Théologien était sérieux, austère, intraitable; "salos" blasphème, Syméon était réputé pour sa piété. Enfin, Syméon lui-même dénonçait ouvertement la conduite des fous: "Bien plus, même ceux qui jouent les fous et parlent à tort et à travers de sottises et de futilités, qui affichent des manières incongrues et invitent les autres à rire, ils les regardent comme si, par de pareilles ruses ou sensées telles, manières, paroles, ils s'efforçaient de dissimuler leur vertu et leur impassibilité, et ils les honorent comme impassibles et saints. Mais ceux qui vivent sans la dévotion, la vertu, la simplicité de coeur, ceux qui sont réellement des saints, ils les négligent, comme un homme quelconque parmi les autres, et les laissent de côté" (Cat. XXVIII, 369-379)4. Ces mots devraient suffire pour dénier toute ressemblance entre Syméon et un fol-en-Christ. Cependant il faut rester prudent.
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Tout d'abord prenons garde de croire Syméon sur parole: il se contredit souvent. Quand un certain Hiérotheos voulut racheter sa faute horrible en s'infligeant la plus grande humiliation qui fût on lui conseilla d'entrer dans le monastère de Syméon. Dans le couvent de Saint Marnas, Hiérotheos se conduisait en fol-en-Christ, et Syméon comme il est relaté dans sa Vie, "savait qu'il faisait tout pour s'attirer des avanies" et "voulait donc procurer des couronnes à sa soif" d'humiliation (Vie, p. 74, 19-20). Ainsi, dans sa pratique, Syméon n'était pas adversaire de la Folie-en-Christ. Rappelons-nous aussi d'autres circonstances importantes de sa vie.


Syméon a perdu son higouménat et puis envoyé en exil à cause de son intransigeance sur sujet du culte de Syméon le Modeste, son père spirituel. Plusieurs hauts dignitaires ecclésiastiques protestèrent contre la canonisation du Modeste et exigèrent que la célébration de sa mémoire instituée par Syméon cessât et que les icônes de ce nouveau saint fussent détruites. A la différence de l'Occident, la procédure et les formalités de la canonisation étaient rares à Byzance. Ainsi on ne peut interpréter l'application minutieuse des recherches dont cette procédure fut l'objet autrement que par la réputation de scandale liée à la figure de ce nouveau saint. Nicétas Stéphate, l'auteur de la Vie de Syméon le Nouveau Théologien, dit de leur père spirituel: ..."Or celui-ci, après avoir mortifié sa chair par une apatheia extrême, et éteint parfaitement dès ici-bas ses mouvements instinctifs, tellement que le corps de qui l'approchait (τοις αυτω πλησιάζουσι σώμασι) ne lui inspirait pas plus de sentiment qu'un cadavre, contrefaisait la sensibilité (υπεκρίνετο την εμπάθειαν), d'abord par désir de dissimuler... son apatheia...; ensuite, parce qu'il voulait par cet appât retirer... toutes les âmes... du gouffre de la perdition" (Vie, p. 110).
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Laissons provisoirment de côté la question embarrassant si la "chair morte" peut ou non simuler la passion et s'il est possible de sauver quelqu'un au moyen d'une provocation. Notons simplement que le père spirituel de l'higouméne de Saint Marnas est décrit comme un fol-en-Christ caractérisé 5. Mais peut-être Syméon défendait-il le culte de son maître, sans percevoir sa folie-en-Christ6 ou sans d'en rendre compte? Essayons de comprendre.
 

Dans ses écrits le Nouveau Théologien porte une grande attention et attache beaucoup d'importance à la possibilité même d'acquérir une impassibilité absolue. Les théologiens occidentaux soutenaient qu'il ne faut pas tourner en dérison la nature humaine, alors que les byzantins n'étaient pas unanimes sur ce point 7. Des auteurs orthodoxes recommandaient une prudence particulière pour la stimulation vulue d'une tentation. "Ne prends pas tes repas avec une femme!" conseille Evagre le Pontique 8. Mais Syméon fustige ceux qui sont timides envers la provocation pouvant frôler le péché.


"Bien des gens du monde, que j'ai rencontrés souvent" — commence-t-il par dire avec une sérénité feinte, — "au cours de certains débats... sur la passion et l'impassibilité, m'ont laissé entendre presque tous—non seulement les gens... médiocres, mais ceux-là même qui ont l'air d'être parfaits en vertu... — qu'il n'est pas possible à un homme d'atteindre un degré d'impassibilité tel qu'il puisse rencontrer des femmes et manger à table avec elles sans en éprouver aucun dommage ni subir en secret quelque agitation ou quelque souillure". Et alors le ton de Syméon s'affermit: "...S'ils n'étaient pas esclaves du plaisir et des convoitises de la chair, la mort vivifiante de Jésus Dieu, celle qu'il accorde aux membres de ses saints, ne leur serait pas inconnue et ils ne la mettraient pas en doute... Qu'il soit possible... d'atteindre l'impassibilité de l'âme et du corps, au point non seulement de rester... sans passion quand il prend un repas avec des femmes..., mais encore de n'éprouver aucun dommage, quand il circule en pleine villa, en entendant des chanteurs et des joueurs de cithare ou en voyant des amuseurs et des joueurs (παίζοντας), tous les traités et toute l'histoire en témoignent; aussi bien les vies des saints nous en donnent des exemples convaincants" (Eth. VI, 1-10, 16-19, 37-46).
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Mais nous Ignorons pourquoi le saint apparalt-il dans des villes (εν μέσαις στρεφόμενον πόλεσι); et surtout pourquoi vlsite-t-il leurs quartiers évidemment les plus douteux.


C'est Ici que vient au secours se Syméon son éditeur et chercheur contemporain Vasilij Krivochéine: "Il faut dire que Syméon avait raison quand il citait l'exemple des saints anciens et surtout la Vie de saint Syméon Salos"9. Ainsi "tous les traités", "toute l'histoire", "les vies das saints" se trouvent être une vie d'un seul fol-en-Chrlst. Krivochéine poursuit: "En tout cas, malgré certaines exagérations d'expressions, la théorie de l'impassibilité représente une partie intégrante de la doctrine spirituelle de Syméon" 10. Précisément, ce mot "exagérations" présent un grand Intérêt pour nous puisque les autres défenseurs de Syméon s'efforcent à démontrer le contraire: l'absence de toute originalité dans son oeuvre; tels passages ne sont, selon H.Turner, qu'un topos de la littérature monacale 11. Il est difficile d'accepter ce point de vue, puisque Syméon revient sur ce sujet plusieurs fois, et ses tirades passionnées ne peuvent pas être considérées comme des clichés: "O charité toute désirable, bienheureux qui t'a embrassée (δε ασπασάμενος): Jamais plus la passion ne lui fera désirer d'embrasser une beauté terrestre. Bienheureux qui t'a enlacée, (poussé) par l'amour divin: il... (vit) frayant avec tous (παντι πλησιάζων ανθρώπω)", mais il n'en "recevra aucune souillure". (Cat. I, 78-83). Nous ne savons pas ce que signifie le mot "frayant" — mais voici un autre texte: "Qu'il existe, même à présent, des impassibles,... qui ont tellement mortifié leurs propres membres sur terre..., au point non seulement de ne jamais concevoir d'eux-mêmes le mal et de ne pas le provoquer, mais, même quand ils y sont attirés par d'autres (υφ ετέρου προς τουτο ελκόμενοι), de n'éprouver aucun bouleversement de l'impassibilité" (Cent. 3, 9-15). Alors, il se trouve-t-il que le juste décrit par Syméon non seulement visite des lieux douteux mais aussi qu'il permet à des pécheurs inconnus de le provoquer. Comment savoir?..."... Il n'est pas admissible que
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l'homme, doté de grâce..., soit souillé dans son âme ou dans sa pensée, même si son corps très pur vient à se rouler dans le bourbier, pour ainsi dire, des corps humains, ce qui n'est pas dans les habitudes des gens pieux" (Eth. VI, 204-207). Le commentateur français s'accroche â la dernière réserve en l'accompagnant de l'observation suivante: "Il ne s'agit donc pas d'un certain exhibitionnisme..., dont certaines vies de saints, Syméon Salos, par exemple (le même exemple! — S.I.) ne sont pas exemptes."12 Mais Syméon reprend tout suite: "Allons plus loin: même s'il est emprisonné avec des milliers d'infidèles, d'impies et de débauchés et que son corps nu soit en contact avec leurs corps nus (γυμνος τω σώματι γυμνοις αυτοις ενωθήσται) il n'en tirera aucun dommage pour sa foi" (Eth. VI, 207-210). Les derniers mots ne convennent guère avec la métaphore de la prison. Mais oublions pour un moment "la nudité", et attribuons "le contact" a la promiscuité de la cellule: peut-on au moins espérer que le juste ne fait que se soumettre aux circonstances sans manifester d'Initiative? Allés donc! "Désormais tu ne feras plus de différence entre homme et femme...; tout en vivant avec des hommes et des femmes, en conversant avec eux et en les accueillant (ασπαζόμενος: la traduction de Krivochéine "en les embrassant"13 nous semble préférable. — S.I.), tu resteras indemne de tout dommage et de toute émotion (ακίνητος)... tu les verras et tu les regarderas comme de précieux membres du Christ". D'alleurs Syméon ajoute: "Mais tant que tu n'as pas atteins ce degré... tu feras bien d'éviter les spectacles dangereux." (Eth. VI, 462-471). Cette réserve démontre que Syméon se rend parfaitement compte des risques des expériences décrites par lui — cependant il n'explique point où réside leur utilité.


Mais, finalement, l'affaire se llmite-t-elle à des baisers? Espoirs vains. "Lui, qui par le corps s'approche des corps, il peut par l'esprit être saint... oui, même si tu le vols soi-disant se mal conduire comme s'il n'en faisait qu'à sa tête" (Hymn. IX,20-28). Donc "la mort"
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du corps d'un juste est définie par l'impassibilité de son esprit, ne subit aucun dommage sans dépendre en cela de ce que fait ce corps. "La fièvre et la convoitise de l'union conjugale, le rapprochement, la volupté... ce qu'on s'imagine généralement que le corps recherche, ce n'est pas le corps... mais l'âme" (Cat. XXV, 75-79). Et puisque l'âme est impassible, que la chair insensée fasse ce qu'elle veut. Cela veut-il dire qu'il n'y aurait pas des critères objectifs de la sainteté? "Si tu vois (ton père spirituel) forniquer ou s'eniverer, ou mal se conduire..., ne t'associe pas à ceux qui se moquent (λοιδορουσιν) de lui" (Cat. XVIII, 134-137). Et ce n'est pas parce que tu dois demeurer avec lui en dépit de tout, mais parce que ce qui est vu par les yeux, est faux: "Si tu le vois manger avec des prostituées... ne songe à rien de passionnel et d'humain... même pour ce que tu vois de tes yeux, ne les en crois pas, pas du tout: car eux aussi se trompent, comme je l'ai appris par expérience" (Cat. XX, 80-82, 85-87). Et l'éditeur fait cette remarque: "Les aveux de Syméon paraîtront parfois indiscrets à ceux qui ne suivent pas sa perspective: un témoignage objectif ne peut venir que des saints eux-mêmes"14. Suivons cet avertissement et adhérons pleinement au point du vue de Syméon. Comment faut-il donc agir à la vue de quelqu'un s'adonnant au péché? Le blâmer? Et si, par hasard, il s'agit d'un père spirituel qui n'est pas le tien mais celui de quelqu'un d'autre? "A moins d'être aveugle, (on) n'ignorera jamais", répond Syméon (Cat. XXVIII, 342-343). On l'aurait cru s'il n'y avait pas cette véhémence inopérante qui caractérise ses écrits sur les "véritables" fous-en-Christ (Cat. XXVIII, 369'379, cf. supra). Si l'on rejette le critère d'une sainteté objective, il devient impossible de distinguer le "vrai" et le "faux" salos. Cest justement l'acharnement de Syméon qui prouve qu'il comprends cela.


La doctrine de Syméon s'appuyet sur deux piliers: l'impassibilité et l'Eros divin. Nous avons déjà parlé de l'impassibilité, qui se place, pour Symeôn, plus haut que la
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sainteté même: "Il y a beaucoup de saints, mais peu d'impassibles" (Eth., IV, 62). La théorie syméonienne de l'amour pour Dieu a attiré maintes fois l'attention de chercheurs. Laissons la parole au défenseur principal de Syméon: "Syméon se distingue par l'audace et le réalisme quelque peu rude de ses descriptions. Pourtant le plus Important pour lui, c'était de démontrer la plénitude d'incarnation du Logos"15. Ainsi préparés par ces explications, penchons-nous sur les textes des Hymnes: "S'unit à moi l'impassibilité au visage fulgurant et elle ne me quittait plus — comprends cela de façon spirituelle, je t'en prie, toi qui lis ces mots, pas d'image impure, malheureux! — elle m'apportait ineffablement la volupté de l'union et sans mesure le désir nuptial de nous unir en Dieu. Dans ce partage, moi aussi je suis devenu impassible, enflammé par la volupté, embrasé de désir pour elle et j'ai eu part à la lumière, oui, je suis devenu lumière, au-dessus de toute passion, en dehors de toute malice" (Hymn. XLVI, 29-37).


Attentifs à l'avertissement de l'auteur, nous allons le considérer exclusivement de façon "spirituelle": ainsi, la passion de la copulation mystique a, pour sa correlat inévitable, l'impassibilité terrestre absolue. Ne le perdant pas de vue, adressons-nous à celui des Hymnes de Syméon qui est le plus scandaleux et qui a été même exclu des premières éditions de ses oeuvres. "La langue de cet hymne a dérouté plusieurs contemporains de Syméon, comme il déroute actuellement tous ceux qui éprouvent un malaise devant la manière stylistique propre aux mystiques"16. Alors, "Nous devenons membe-res du Christ — et le Christ devient nos membres..., ne m'accuse pas de blasphémer, mais accueille cette (vérité)..., et tout ce qui (en nous) est sans honneur il le rendra honorable... Maintenant,. eh bien tu as reconnu en mon doigt le Christ, et en cet organe" (ici Syméon passe la parole à un interlocuteur imaginaire) "n'as-tu pas frémi, ou rougi? — Mais Dieu n'a pas
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eu honte de devenir semblable à toi..." (De nouveau Syméon donne de grand coeur la parole à un éventuel adversaire) "Mais (quand tu l'as dit) semblable à un membre honteux, j'ai craint que tu ne prononces un blasphème. — Eh bien, tu as eu tort de craindre, il n'y a rien là de honteux... Celui... donne la semence dans l'union divine ... Dieu s'unit à chacun - oui, je le repète, c'est ma volupté — et chacun devient un avec le Maître... Tu comprendras sans rougir tout ce que je dis." (Hymn. XV, 141, 147, 152, 160-162, 165-167, 171, 176-177, 179). C'est justement ce passage qui a toujours semblé le plus scandaleux aux exégètes parce qu'il offre l'unique exemple où Syméon mentionne l'organe sexuel en empruntant pour le faire un terme inconveant (cf. Eth. VI, 81). Mais, pour nous, le texte semble tout à fait conforme à la théologie syméonienne et ne nous déconcerte pas. Lisons plus avant: "Cest ainsi qu'il y eut, à notre époque, en ces derniers temps, Syméon le Saint, le Modeste, le Studite, lui ne rougissaint devant les membres de personne, ni de voir d'autres hommes nus, ni de se montrer nu... et tous ses membres à lui et les membres de tout autre, tout et chacun, étaient toujours à ses yeux le Christ; il demeurait immobile, indemne et impassible." (Hymn. XV, 205-208, 210-212). Tous ces motives nous sont familières depuis longtemps et ne peuvent à coup sûr soulever aucun doute. Pourquoi donc Syméon s'enfle-t-il soudain d'une telle colère contre un adversaire Imaginaire, avec lequel il a discuté paisiblement jusqu'à ce moment: "Tandis que toi, si tu es nu et ta chair touche la chair, te voilà en rut comme un âne ou un étalon: comment oses-tu donc débatérer contre le Saint lui-même..? Car il se fait époux-tu entends?-chaque jour, et épouses deviennent toutes les âmes auxquelles s'unit le créateur et elles, en retour, à lui... sans les déflorer... Elles sont éprises du Très Beau, elles s'unissent entièrement à son amour entier; ou plutôt, en recevant... sa semence sainte, elles possèdent au dedans d'elles-mêmes Dieu tout entier." (Hymn. XV, 215-218, 220-224, 228-231). Ici Syméon s'adresse de nouveau à ses adversaires, cette fois sans
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colère, mais en les taquinant un peu: "Eh bien, Pères, tout cela n'est-ce pas la vérité? N'avons-nous pas parlé comme il faut de ces réalités divines?" (232-233). En effet, tout le passage qui précède abonde en citations des Evangiles. Syméon sait qu'on ne peut pas le prendere en défaut; et cela explique sa bonhomie.


Et c'est ici que nous sentons déconcertés: quel est le rapport entre les raisonnements cités? Admettons que: (1) dans la première partie, Syméon avançait que le Juste peut devenir Dieu; (2) dans la deuxième, qu'un "impassible" transforme le terrestre en céleste; (3) dans la troisième, que le Dieu s'accouple avec les âmes humaines.


Donc... (4) le juste peut s'accoupler avec leurs corps?


Syméon lui-même a eu évidemment conscience du syllogisme élémentaire qui s'est justement là où sa construction se trouve suspendue au-dessus de l'abîme, il couple la parole à son adversaire.


Peut-on dédure du raisonnement ci-dessus que Syméon était un "érotomaniaque"? En aucun cas. Malgré tous les exemples plus que ambiguës 17, on ne doit pas abaisser le problème sur le niveau personnel 18. Ici, si étrange que ça puisse paraître, nous sommes d'accord avec Krivochéine, qui, voulant défendre Syméon contre les attaques éventueUes écrit: "Son désir ardent de Dieu, son Eros sont toujours adressés à Dieu, à Christ et jamais aux humains."19 Et c'est vrai, Syméon n'aime pas les hummains. Ils n'apparaissent dans ses écrits théologiques que dans la mesure où l'on peut les utiliser dans ses relations avec Dieu.
 

Et maintenant il est grand temps de répondre à la question que nous avons posée il y a longtemps: pourquoi un juste doit-il venir dans une ville, braver les gens et, finalement, pécher?


S'adonner à l'ascèse devant la Face de Dieu représente une voie ordinaire pour se sauver et le fait que cet exploit s'effectue souvent dans le désert, loin du regard des foules, prouve, une fois de plus, qu'on n'a pas besoin de témoins pour la vivre. Mais si la doctrine chrétienne habituelle veut
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que le salut après la mort soit obtenu par les efforts de tout une vie - dans la théologie de Syméon la place centrale revient à l'Idée de la divination du vivant de l'homme... L'homme qui a mérité de voir la lumière divine atteint à l'impassibilité. Il est à noter que, selon la remarque d'un chercheur 20, les'écritls de Syméon ne permettent pas de comprendre si cette Impassibilité représente le résultat des efforts ascétiques ou un don charismatique. Quoi qu'il en soit, celui qui l'a atteinte n'est plus contraint confirmer sa sainteté et on peut croire que ce don ne serait plus Jamais enlevé.


Mais, dorénavant, le "juste" lui-même veut avoir pour lui la confirmation qu'il est élu. En effet, les illuminations ne survlenent pas souvent et dans les intervalles la vie s'écoule suivant sa routine. Dieu n'aurait-il pas oublué son élu? "L'Impassible" chez Syméon est l'otage de son propre charisme. Il est rongé par un doute secret et constant de l'infini du don divin. Il l'éprouve comme s'il pressait sur une dent douloureuse.


Que "les sages de ce monde" pèsent avec leur balances d'apothicaires la mesure de sainteté; que Etienne de Nlcomé-die s'efforce de pénétrer Dieu à l'aide de syllogismes -qu'est-ce que valent les critères terrestres du péché à côté de l'absolu? Le "juste" de Syméon tourne et retourne autour de l'interdit comme un papillon autour de la flamme: plus près, encore plus près... Et voici que le corps est en train de pécher, qu'il est déjà noyé dans les péchés, mais "l'impassible" demeure toujours Inébranlable...


Mais l'Infini n'est sondé que par l'Infini. Nous lisons: "Que le rayon de nos yeux matériels... n'est aucunement souillé..., aussi repoussant que soit l'objet aperçu..., de même également la pensée des saints, si elle vient à se pencher sur le bourbier des passions et des hontes humaines, n'en est pas souillée... SI (même) elle décide à l'occasion d'entreprendre l'examen de tels états elle le fait dans le seul but d'observer et
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de comprendre" (Eth. VI, 258-263, 265-267). Donc, "l'impassible" ne fait que jeter un coup d'oeil dans l'abîme des passions, tout en restant étranger. Mais cela, nous l'avons déjà vu; c'est son état habituel. En quoi alors s'en distingue "l'examen", celui auquel il se décide à l'occasion? Le contexte nous dit qu'il s'agit là de quelque chose de plus grand qu'un simple "coup d'oeil". Il s'agit certainement d'une expérience sur lui-même: le "juste" ne joue plus le rôle d'un pécheur, mais le devient, pas aux yeux des profanes, comme c'était avant, mais à ses propres yeux.


Il est vrai que Syméon justifie la nécessité de cet examen par les Intérêts de la guérlson de ses enfants spirituels (Eth. VI, 269-328), comme il justifiait la fornication du père spirituel par l'indulgence pour les faiblesses humaines des autres (Cat. XX, 83-85). Mais c'est peu probable, même si Syméon lui-même croit en justifications telles de pareilles: dans son univers spirituel il n'y a pas de place pour l'aide aux autres et sa conception du salut est profondément individualiste 21. Ainsi toutes les expériences autour du péché et de l'impassibilité' ne sont qu'un jeu du "juste" mené directement avec Dieu.


Notons, tout en passant, qu'en réalité Syméon faisait ses expériences sur les subordonnés; ainsi, une fols, il a ordonné à son disciple Arsène à manger de la viande, malgré le carême. "Tout interdit de cet ordre, mais sachant que désobéir est plus grave que de manger de la viande, Arsène fit une mé-tanie, dit son bénédicité, et commença à mâcher et, tout en pleurant, à manger sa volaille. Quand le saint vit qu'il avait bien haché entre les dents la nourriture, et qu'il allait l'envoyer dans son estomac: "Assez, lui dit il, crache maintenant; comme tu es un goinfre, si tu te mets à manger, tout le pigeonnier ne suffirait pas à te rassasier; retiens l'élan de ta gloutonnerie." (Vie, p. 66-68). Cette scène, qui rappelé Dostoïevsky, montre perfaitement le caractère sinistre de la curiosité de Syméon.
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Mais si "l'impassible" est étranger aux normes terrestres, il n'empêche qu'il vit parmi les humains. Et il se trouve que Syméon ne peut pas envers leur jugement conserver l'indifférence qu'il a lui-même proclamée. Dansl'une de ses lettres, le Théologien exhorte son correspondant: "Pauvre homme malheureux, pourquoi ne vénères-tu pas ton père spirituel comme un apôtre de Christ? C'est, réponds-tu, que je ne vois pas qu'il suive les préceptes divins. - Ce n'est que'une excuse vaine! Est-ce que tu respectes les commandements mieux que lui? Et même s'il en était ainsi, tu ne devrais pas le juger... Si le roi temporel t'avait envoyé le plus humble de ses serviteurs le plus bas placés, habillé de vêtements usés et pauvres, l'aurais-tu méprisé?"22 Le ton hésitant de la lettre témoigne que Syméon reconnaît la justesse des reproches de son correspondant: il a beau insister sur le fait que ce "va-nu-pieds" spirituel lui est envojé par le roi céleste, il se rend compte qu'il n'est pas possible de le prouver.


Il faut sous-entendre la hésitation dans passage où Syméon s'indigne de la réaction de gens à l'égard du comportement provocateur des "impassibles" \ "Si justement ils avaient bien su les livres saints qu'ils lisent... tous les jours, ceux qui taxent de folie ces (impassibles) et refusent de les croire lorsqu'ils enseignent les choses divines dans la sagesse de l'Esprit". (Cent. 3, 87) Mais est-ce que ce n'est pas Syméon lui-même qui maintes fois avait glorifié "la bêtise de ce monde", laquelle, selon l'apôtre Paul, représente la sagesse véritable? (Cf. Hymn. XXIV.82-83; XXXVI,17-18; Eth.I, 217-226; Cent. 3, 84-85; Cat. VI, 282-287, 300-307; XXVI, 96-97). En effet, cela est juste, mais, aux yeux de laïcs, la bêtise n'est que la bêtise, et Syméon ne peut pas se détacher de ce système d'appréciation.


Syméon est incapable de suivre jusqu'au bout l'idée charismatique, car alors il devrait rejeter la hiérarchie ecclésiastique et même les sacrements - à cela il ne pouvait quand même se résigner, et ici réside la différence entre lui et un fol-en-Christ lequel renie systématiquement toutes les conventions et toutes les institutions de ce monde, y compris l'Eglise. Mais, parmi les idéologues, lequel est assez auda-
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cieux pour agir en congruitè avec son idéologie? Pour le reste, on peut reconnaître Syméon en tant que fol-en-Christ: comme celui-ci, il agit en visionnaire; 11 hait tout bon sens et toute érudition; il épate le public; 11 est tenté par l'exhibitionisme et la provocation sexuelle. A la différence près que le fol-en-Chtlst est anonyme, il ne laisse pas d'écrits et par là il agit avec plus de logique que Syméon; cependant, c'est justement grâce à ce manque de logique que nous pouvons, à partir de l'exemple de Syméon, comprendre quelque chose d'important dans le phénomène de cette folie.


On est habitué à croire qu'un fou, par le dérèglement de sa conduite, stimule les gens à voir le monde autrement, et c'est incontestablement vrai, quoique ce ne soit pas totalement la vérité. Un fol-en-Christ, anachorète dans le passé, ne se souciait pas beaucoup d'instruire les gens; saint André le Salos dit: "ου γαρ εμοι σκοπος ώστε ελέγχειν και επιμαν τοις αμαρτωλοις, αλλα τρέχειν με την ευθειαν οδόν" 23. Salos était surtout préoccupé de ses relations avec Dieu, et il ne retourne pas en ville (ou pas seulement) parce qu'il fut pris du désir d'apporter "les lumières", mais pour compliquer sa tâche. Il voulut s'assurer que la perfection obtenue cerait vraiment durable. "Il arrive, écrit Maxime le Confesseur, que les passions ne se manifestent pas faute de tentation"24. Pour Maxime et pour d'autres auteures (Nile Slnaïte, Ma l'Hermlte) qui voient dan3 "l'apathie" un idéal obtenu grâce à des efforts pénibles, cela signifie une vigilance infaibil-lible pour éviter les épreuves, mais pour celui qui a cru à sa propre "impassibilité", l'absence de tentation ne fait que diminuer la valeur du don divin. Plus forte est la tentation, et plus a de froids l'Impassibilité.


Nous sommes persuadés que le fol-en-Christ aurait raconté la même chose, s'il avait parlé. Mais il ne s'adonne pas aux théories et on ne voit que côté extérieur et provocant de sa conduite, alors que l'essentiel de sa provocation est intériorisé.
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Nous sommes convenus de Juger Syméon d'après les règles créées par lui-même et nous pouvons constater que c'est justement selon ces règles qu'il s'inflige une défaite foudroyante. Premièrement, il ne peut pas aller jusqu'au bout dans sa négligence de l'opinion publique; deuxièmement, il n'a pas confiance en sa propre qualité d'élu; enfin, il profane cette dernière; les deux premières déductions ont été démontrées plus haut, il est temps maintenant d'examiner la troisième.


Ainsi que nous l'avons déjà mentionné, Syméon en raison de son dévouement fanatique au culte de son maître, a été exilé. Selon Nicétas Stéphate, l'ennemi principal de Syméon était le synkellos Etienne de Nicomédie. C'était lui qui luttait contre le culte en question, c'était lui aussi qui menait une polémique acharnée avec Syméon sur des questions theologi-ques, et pouvait alors se croire victorieux, — et c'est à lui que Syméon a enterprls d'écrire une lettre dès qu'il arriva pour les lieux de son exil. îl a conçu cet envol et estime cette missive comme un remerciement. Syméon, selon les préceptes evangéliques, bénit son persécuteur, et remercie Etienne pour ses propres souffrances qui le rapprochent de Dieu. La lettre se termine par ces mots: "Toutes choses pour lesquelles je te rends grâces, et ne cesserai jamais de te rendre grâces et de prier pour toi. Au reste, si tu as encore quelque complément de joie et de gloire pour ceux qui t'aiment, n'hésite pas à le réaliser, pour multiplier ton salaire et rendre plus abondante ta récompense des mains de Dieu, l'auteur des lois que tu observes si bien. Salut" (Vie, p. 134). Le point le plus intéressant qui ressort de cette lettre, c'est ce qu'elle n'était pas conçue comme ironique. Rechercher ses souffrances et prier pour ses offenseurs représentait le conduite ordinaire d'un saint. Mais, d'une autre côté, chaque mot de cette lettre respire une haine ardente et évidemment Syméon ne pouvait pas compter qu'elle serait accueillie comme un exemple d'humilité chrétienne. Cet exemple montre bien comment la plus grande humiliation volontaire et
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le plus grand orgueil sont Inséparables dans l'âme de Syméon 25. Il se permet de ne pas distinguer ces deux sentiments en croyant qu'il obtiendra l'extase sacrée et en ne se rendant pas compte qu'il aboutira à la débauche. C'est ce qui représente la σαλότης, au niveau quotidien, donc dans l'acception actuelle du mot юродивый en russe.


Selon les "défenseurs" de Syméon "la plus grand partie de ses contradictions trouve son explication dans le caractère paradoxal et antinomique du mystère de christianisme"26, que sa position exprime l'opposition originelle des apôtres Jean et Pierre 27. Le plus important, pour nous, c'est de démontrer que les oppositions essentielles de Syméon sont ses propres oppositions à lui. Le christianisme ne craint pas son goût du paradoxe ontologique, mais en même temps il ne tient pas à attribuer à lui tout ce qui détonne — Syméon, au contraire, ne voit pas les écueuils de sa théologie tant qu'il ne s'y heurte pas; c'est alors qu'il perd contenance et se met en colère. Le christianisme, pour obtenir le salut, exige la concentration d'esprit, alors que Syméon volt dans "l'impassibilité" un don divin.

 

* * *


Celui qui voudrait placer l'absolu dans les limites de l'existence terrestre, se trouve alors devant des problèms; il y a une tentation de jouger l'absolu par les critères de la vie d'ici-bas. Ce retour prouverait qu'il a en lui-même le doute inconslent sur l'absolu — mais avec ça l'homme retournant dans le monde des humains se trouve dépourvu d'immunités terrestres. C'est pourquoi, en commençant par la sainteté', on finit par une bacchanale des péchés; ayant appris l'humiliation, on tombe dans l'orgueil; s'étant glorifié par la dévotion, on lance finalement le défi à Dieu lui-même.

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NOTES


1 Miquel P. La conscience de la grâce selon Syméon le Nouveau Théologien // Irénikon 42, 1969. P. 335.
2 Loos M. Courant mystique et courant hérétique dans la société byzantine // JÔB 32, 2, 1982. P. 238.
3 Rigo A. Monaci esicasti e monaci bogomili. Firenze, 1989. P. 203.
4 Les références sur les oeuvres de Syméon sont données dans le texte avec abbréviations suivantes: Cat.= Syméon le Nouveau Théologien, Cathechèses. T. I—III. Éd. par B.Krivc— chéine et J.Paramelle. Paris, 1963-1965; Eth. = Traités Théologiques et éthiques. T.I. Ed. par J.Darrouzès. Paris, 1966; Hymn. = Hymnes. T. I—II. Éd. par J. Koder, J. Para-melle. Paris, 1967; Vie = Vie de Syméon le Nouveau Théologien par Nicétas Stéphatos. Ed. par I.Hausherr. Roma, 1928.
5 Rozenthal-Kamarinea 1. Symeon Studites, ein heiliger Narr // Acten des XI Internationalen Byzantinistenkongresses. Munchen, 1960. S. 515-520.
6 H.Graef insiste sur le fait que Syméon aimait son père spirituel "whatever the older man's shortcomings" (Graef H. The Spiritual Director in the Thought of Symeon the New Theologian // Kyriakon. Festschrift J. Quasten. II. Munster, 1970. P. 609).
7 Cf.: Spidlik Th. La spiritualité de l'Orient chrétien. I. Roma, 1978. P. 261-270; Bardy G. Apatheia // Dictionnaire de la spiritualité. I. Paris, 1937. P. 733-744; Volker W. Praxis und Theoria bei Symeon dem Neuen Theologen. Wiesbaden. 1974. S. 269-270.
8 Evagre le Pontique. Traité pratique. II. Paris, 1971. P. 702. Cf. PG. 40, col. 1111-1112; PG. 65, col. 153, 392, 296, 340.
9 Vasilij Krivochéine. Prepodobnij Simeon Novyj Bogoslov. Paris, 1980. P. 320-321.
10 Ibid.
11 Turner H.J.M. St. Symeon the New Theologian and Spiritual Fatherhood. Leiden, 1990. P. 212.
12 Traités théologiques et éthiques. Ed., trad. J.Darrouzès. I. Paris, 1966. P. 135.
13 Vasilij Krivochéine. 0p. cit. P. 318.
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14 Centuries... P. 176-177.
15 Vasilij Krivochéine. 0p. cit. P. 329.
16 Ibid.
17 Cf. Hymn. XVIII, 149-160.
18 Si nous faisons abstraction de la doctrine théologique de Syméon et si nous nous adressons à sa personnalité, nous pouvons supposer qu'il était un eunuque (cf. Koder J. Normale Mônche und Enthusiasten. Das Fall des Symeons Neos Theologos // Religiose Devianz. Frankfurt/Main, 1990. S. 99); en tout cas, le titre du spatharocubiculaire qui lui avait été attribué revenait d'habitude justement aux eunuques. Alors, il serait inutile de parler de la fornication comme telle. D'autre part, sur les tortures subies par un homme qui a été châtré, mais pas "tout-à-fait", voir: Laurent V. La Vie de Jean, Métropolite d'Héraclée du Pont // Archeion Pontou. 6. 1934. P. 36. Donc, au niveau d'indées ordinaires, il est possible d'interpréter l'érotisme des visions divines de Syméon, comme une sorte de sublimation (cf. Vie. P. 24).
19 Vasilij Krivochéine. 0p. cit. P. 331.
20 Fraigneau-Julien B. Les Sens spirituels et la Vision de Dieu selon Syméon le Nouveau Théologien. Paris, 1985. P. 138.
21 Kazhdan A.P. Predvaritelnye zametchanija o mirovozzrenii vizantijskogo mistika X-XI vv. Simeona // Byzantinoslavica XXVIII. 1967. P. 12-13, 19-22, 38.
22 La version originale de cette lettre ne pas été publiée; nous avons utilisé la traduction néogrecque: Του οσίου Συμεών... μεταφρ. Δ. Ζαγοραίου. Ι. Συρω, 1886. S. 80.
23 Vita s. Andreae Sali. PG. 111. Col. 700.
24 Maximi Confessoris Centuriae. III. 78.
25 Kazhdan A. 0p. cit. P. 30. Cf. Vie, p. LXVII.
26 Vasilij Krivochéine. 0p. cit. P. 178.
27 Bergeron H. Le Sens de la Lumière chez Syméon le Nouveau Théologien // Contacts. 38. 1986. P. 26. Cf. Biedermann H. Das Menschenbild bei Symeon dem Jungeren dem Theologen. Wurzburg, 1949. S. 74-76.

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СИМЕОН НОВЫЙ БОГОСЛОВ КАК ЮРОДИВЫЙ

 

Резюме


В статье анализируется творчество и личность крупнейшего византийского мистика Симеона Нового Богослова (949-1022).


На первый взгляд, нет ничего более далекого от облика Симеона, чем юродство: он был видной общественной фигурой, а юродивый принципиально безвестен; Симеон много лет игуменствовал, а юродивый всегда держится в стороне от церкви; Симеон неизменно суров и неприступен, а юродивый назойлив и нагл. Наконец, Новый Богослов и сам совершенно недвусмысленно высказывается против юродства (Кат. XXVIII, 369-379).


Все это правда — но это не вся правда. Учение Симеона состояло в том, что истинные Божьи избранники, так наз. "бесстрастные", не обязаны подчиняться правилам, выработанным для обычных христиан. Богоизбранность этих праведников — харизматический дар, он ниспосылается не за добродетель. Подобная логика неизбежно приводит симеонова праведника к желанию проверить степень собственного "бесстрастия". Оно испытывается грехом.


Но тот же импульс движит и юродивым: он хочет доказать себе и другим, что святость есть не столько высшая ступенька на лестнице благонравия, сколько совершенно особое состояние души, приобретаемое не благодаря добродетелям, а вопреки грехам.


Это доктринальное сходство выходит на поверхность, когда Симеон начинает "юродствовать" в том бытовом смысле, в котором это слово употребляется в русском языке сегодня.

 

 

 




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